Gilles Chaillet, Lefranc, Les portes de l'enfer, Tome 5, 1978, Page 16

A plus d?un titre, « Les Portes de l?Enfer » reste l?un des plus emblématiques albums de la série « Lefranc ». Tout d?abord car Jacques Martin ose changer radicalement de registre thématique. Entre des thrillers où Lefranc sauve la France ou le Monde, et un polar angoissant au c?ur des montagnes, l?auteur est passé entretemps au stade de simple scénariste de la série de bande dessinée qu?il avait créée en 1952 pour le « Journal Tintin » (et qui lui a d?ailleurs permis de travailler plus étroitement avec Hergé, notamment sur « L?Affaire Tournesol »). Avec « Les Portes de l?Enfer », il franchit plusieurs étapes d?un coup, en écrivant un huis-clos à mi-chemin entre le postapocalyptique, l?historique et le fantastique. Véritable métaphore de l?enfer nucléaire dont la menace a longtemps pesé sur le monde, « Les Portes de l?Enfer » mettent aussi en évidence le fait que le Diable peut se cacher en chacun de nous, ce qui peut se révéler un sérieux danger pour l?humanité lorsque de telles armes sont à notre portée.

Pour ce sérieux, déroutant, glaçant, mais terriblement prenant scénario, Jacques Martin choisit de donner sa chance à un nouvel arrivé, à savoir Gilles Chaillet. Par manque de temps, le créateur d?Alix avait déjà laissé le dessin de son journaliste-enquêteur à Bob de Moor pour « Le Repaire du Loup ». Désormais, il donne sa chance à un ancien du studio Uderzo (Astérix)? et bien lui en prend ! Même s?il travaille sur un storyboard dessiné par Jacques Martin, Gilles Chaillet se montre directement à la hauteur, notamment via un encrage appuyé et très expressif, qui fait non seulement ressortir les émotions des personnages, éléments prépondérants de ce récit, mais aussi la nature et les montagnes.

Tout cela se traduit dans cette formidable planche originale. Après s?être réfugiés au-delà des Portes de l?Enfer pour tenter d?échapper à l?attaque destiné à supprimer toute vie humaine, Lefranc, Jeanjean, Lisa et sa grand-mère remontent vers la surface. Mais la chaleur qu?ils ont ressentie ont fait fondre la pierre, sculptant ses magnifiques réalisations minérales dessinées par Gilles Chaillet.

On retrouve également beaucoup de Jacques Martin dans cette planche originale. Sans doute dans les crayonnés et la mise en page, mais aussi dans le concept même de cette remontée vers la surface. Que cela soit dans Alix, Lefranc, Jhen ou les autres récits qu?il a réalisés, Jacques Martin a toujours associé le monde souterrain à celui des révélations. Après ce premier passage sous terre, Lefranc va mieux comprendre l?horreur au sein de laquelle il est plongé, et surtout à faire confiance puis à mettre son destin dans les mains de cette étrange vieille femme qui l?accompagne.

Dénicher une planche originale encore disponible à la vente où autant de symboles chers à Jacques Martin sont repris, n?est pas chose aisée. Le tout est amplifié par ce témoignage du tout début de la collaboration entre Jacques Martin avec Gilles Chaillet, celui qui reste plus que le meilleur repreneur graphique de la série, car il en est tout simplement devenu la référence.