"Le premier solo impressionnant de Milan Jespers chez Huberty & Breyne"
Article de Roger-Pierre Turine pour ArtsLibre
8 juin 2023
D'aquarelle et d'histoire
Il est jeune et n'a pas froid aux yeux.
Sa première expo perso est un succès et on se dit que Milan Jespers a de l'avenir.
★★★ Milan Jespers – Cénotaphes
C'est une découverte qui en impose! D'abord par la qualité technique d'ouvrages que l'artiste peaufine du matin au soir. Manier l'aquarelle comme il le fait révolutionne un art qui eut tant à souffrir de joliesses plus ou moins acidulées. L'homme tatoué, jeune, 30 ans, né en 1992 à Bruxelles, les deux bras ponctués d'images irréversibles – “mais, pour l'instant, je le supporte très bien, plus tard on verra” – est une sorte de jus- qu'au-boutiste dans l'art de traiter avant et arrière plans avec une aisance qui suppose des heures et des jours de travail acharné. Les félicitations, il les prend avec respect et reconnaissance, en modeste cependant sûr de son fait. Il est vrai que d'aucuns le lui ont dit et répété, le résultat de ses efforts étant à ce point convaincant qu'on peut se demander déjà quelle en sera la suite.
Contrairement à ce que vous pourriez croire, ce ne sont pas des photos à l'ancienne, au gris ou bistre d'époque ! Ces bruns, ces gris, ces blancs, ces coloris qui vous sautent aux yeux comme autant d'appâts urgents sont là par le fait d'un manieur de pinceaux dont la subtilité d'action pourrait, quelque part, s'apparenter à celles de ces primitifs flamands capables de passer des heures avec un pinceau à un poil. Un ouvrage de stakhanoviste. Mais quel résultat ! Une technique que même les puristes devraient trouver irréprochable. Et ceci n'est que l'avers du décor.
Passionné par l'histoire, [...] Milan Jespers finit par convaincre ses parents [...] que son chemin personnel ne pouvait être autre que solitaire, impératif : son choix se devait d'être entériné.
Histoire et profondeur
Les pièces, de format souvent modeste (on comprend pourquoi), sont cependant tout autre chose qu'un geste de bravoure technique. Passionné par l'histoire, qu'il étudia à l'Université avant de se persuader que sa voie n'était pas dans un registre classique, estampillé, mais bien dans l'aventure d'un quotidien sans cesse repositionné, Milan Jespers finit par convaincre ses parents – étonnés, inquiets, compréhensifs et désormais charmés, sinon impressionnés – que son chemin personnel ne pouvait être autre que solitaire, impératif : son choix se devait d'être entériné.
Après une participation à quelques expositions de groupe, le voici, grande première, en solo dans une galerie de belle dimension, dont il a attaqué les cimaises avec la conviction de ses partis pris. Et cet ancien élève de Saint-Luc, put, au vernissage, compter sur une foule de jeunes et, peu banal pour une première, de fructueuses ventes ont suivi. C'est aussi que son art en impose, sans autre formule qu'une qualité qui captive.
L'Histoire avec un grand H, celle avec le petit h participant itou aux débats, agit sur lui en madeleine de Proust. Par la bande, elle rejoint ses travaux et les ennoblit, un côté sociétal traverse les temps, donne à réfléchir sur le contenu de ses transpositions à l'aquarelle.
Milan Jespers a beaucoup voyagé. Il avoue: “Les mélanges syncrétistes m'interpellent. J'adore les rencontres impromptues.” Dans cet ordre d'idées, il apprécie les petits meubles anciens, les vieilles boiseries, la lumière qui s'y reflète. Des airs d'un temps révolu? En quelque sorte. Histoire et profondeur, sous-titrions-nous. Faut-il dès lors voir dans ses interprétations de scènes peu ou prou révolues, une volonté sociétale, politique ? “Pas directe- ment”, dit-il, sans exclure un futur davantage orienté. “Je m'attache aux soldats, aux mineurs, aux manchots, etc. Ce n'est sans doute pas gratuit quand je leur re-donne vie. Mais je dépeins aussi des mobiliers bourgeois.”
Un art qui questionne
Chez Jespers, technique et profondeur du regard, de l'ex- pression, se conjuguent harmonieusement, questionnent. Lui va sa route avec conviction, détermination. Curieux de tout, il lit beaucoup, et les deux livres de David Van Reybrouck, Congo, une histoire et Zinc, parus chez Actes Sud, l'ont, comme nous, impressionné. Il a écrit sur les murs, à côté d'un Crucifix, aquarelle de 2023, un extrait de Congo, une histoire. D'où ses propres engouements, son ardeur dans ses combats. Et cet humour qui, sans dire son nom, émoustille, ici et là, ses réalisations. Ainsi, quand il joue avec les confusions suscitées.
D'augustes photos montrent, enfin, de quel bois d'usage Jespers se chauffe pour nourrir ses aquarelles et le bleu de Delft qui les innerve.
Par Roger Pierre Turine dans le supplément Arts de La Libre.
D'aquarelle et d'histoire
Il est jeune et n'a pas froid aux yeux.
Sa première expo perso est un succès et on se dit que Milan Jespers a de l'avenir.
★★★ Milan Jespers – Cénotaphes
C'est une découverte qui en impose! D'abord par la qualité technique d'ouvrages que l'artiste peaufine du matin au soir. Manier l'aquarelle comme il le fait révolutionne un art qui eut tant à souffrir de joliesses plus ou moins acidulées. L'homme tatoué, jeune, 30 ans, né en 1992 à Bruxelles, les deux bras ponctués d'images irréversibles – “mais, pour l'instant, je le supporte très bien, plus tard on verra” – est une sorte de jus- qu'au-boutiste dans l'art de traiter avant et arrière plans avec une aisance qui suppose des heures et des jours de travail acharné. Les félicitations, il les prend avec respect et reconnaissance, en modeste cependant sûr de son fait. Il est vrai que d'aucuns le lui ont dit et répété, le résultat de ses efforts étant à ce point convaincant qu'on peut se demander déjà quelle en sera la suite.
Contrairement à ce que vous pourriez croire, ce ne sont pas des photos à l'ancienne, au gris ou bistre d'époque ! Ces bruns, ces gris, ces blancs, ces coloris qui vous sautent aux yeux comme autant d'appâts urgents sont là par le fait d'un manieur de pinceaux dont la subtilité d'action pourrait, quelque part, s'apparenter à celles de ces primitifs flamands capables de passer des heures avec un pinceau à un poil. Un ouvrage de stakhanoviste. Mais quel résultat ! Une technique que même les puristes devraient trouver irréprochable. Et ceci n'est que l'avers du décor.
Passionné par l'histoire, [...] Milan Jespers finit par convaincre ses parents [...] que son chemin personnel ne pouvait être autre que solitaire, impératif : son choix se devait d'être entériné.
Histoire et profondeur
Les pièces, de format souvent modeste (on comprend pourquoi), sont cependant tout autre chose qu'un geste de bravoure technique. Passionné par l'histoire, qu'il étudia à l'Université avant de se persuader que sa voie n'était pas dans un registre classique, estampillé, mais bien dans l'aventure d'un quotidien sans cesse repositionné, Milan Jespers finit par convaincre ses parents – étonnés, inquiets, compréhensifs et désormais charmés, sinon impressionnés – que son chemin personnel ne pouvait être autre que solitaire, impératif : son choix se devait d'être entériné.
Après une participation à quelques expositions de groupe, le voici, grande première, en solo dans une galerie de belle dimension, dont il a attaqué les cimaises avec la conviction de ses partis pris. Et cet ancien élève de Saint-Luc, put, au vernissage, compter sur une foule de jeunes et, peu banal pour une première, de fructueuses ventes ont suivi. C'est aussi que son art en impose, sans autre formule qu'une qualité qui captive.
L'Histoire avec un grand H, celle avec le petit h participant itou aux débats, agit sur lui en madeleine de Proust. Par la bande, elle rejoint ses travaux et les ennoblit, un côté sociétal traverse les temps, donne à réfléchir sur le contenu de ses transpositions à l'aquarelle.
Milan Jespers a beaucoup voyagé. Il avoue: “Les mélanges syncrétistes m'interpellent. J'adore les rencontres impromptues.” Dans cet ordre d'idées, il apprécie les petits meubles anciens, les vieilles boiseries, la lumière qui s'y reflète. Des airs d'un temps révolu? En quelque sorte. Histoire et profondeur, sous-titrions-nous. Faut-il dès lors voir dans ses interprétations de scènes peu ou prou révolues, une volonté sociétale, politique ? “Pas directe- ment”, dit-il, sans exclure un futur davantage orienté. “Je m'attache aux soldats, aux mineurs, aux manchots, etc. Ce n'est sans doute pas gratuit quand je leur re-donne vie. Mais je dépeins aussi des mobiliers bourgeois.”
Un art qui questionne
Chez Jespers, technique et profondeur du regard, de l'ex- pression, se conjuguent harmonieusement, questionnent. Lui va sa route avec conviction, détermination. Curieux de tout, il lit beaucoup, et les deux livres de David Van Reybrouck, Congo, une histoire et Zinc, parus chez Actes Sud, l'ont, comme nous, impressionné. Il a écrit sur les murs, à côté d'un Crucifix, aquarelle de 2023, un extrait de Congo, une histoire. D'où ses propres engouements, son ardeur dans ses combats. Et cet humour qui, sans dire son nom, émoustille, ici et là, ses réalisations. Ainsi, quand il joue avec les confusions suscitées.
D'augustes photos montrent, enfin, de quel bois d'usage Jespers se chauffe pour nourrir ses aquarelles et le bleu de Delft qui les innerve.
Par Roger Pierre Turine dans le supplément Arts de La Libre.