Hergé, Les Aventures de Tintin, Tintin en Amérique, Tome 3, 1932, Couverture de l'album

Les Aventures de Tintin, 1932
Tintin en Amérique, Tome 3
Couverture de l'album
Encre de Chine sur papier
46,1 x 32,8 cm
Éditeur Casterman
Non signé
id. 15489

En février 1942, la pénurie de papier consécutive à la guerre avait contraint Casterman à tempérer les ardeurs d'Hergé, dont les récits en noir et blanc comptaient parfois plus de 120 pages, et à lui proposer de se limiter désormais à des albums de 62 pages mais tout en couleurs. En même temps, l'éditeur lui avait proposé de mettre en valeur leurs couvertures au moyen d'illustrations en pleine page, tout en couleurs également, qu'il s'agisse des nouveaux épisodes ou de la réédition des anciens. Les réimpressions de ses albums s'avérant urgentes, Hergé ne tarde pas à réaliser les neuf premières couvertures « grande image ». Celles de Tintin au Congo, du Lotus Bleu, de L'Oreille cassée, de L'Île Noire et du Crabe aux Pinces d'or ne sont que d'astucieuses amplifications ou transpositions des anciennes illustrations de couverture. Celles de Tintin en Amérique, des Cigares du Pharaon, du Sceptre d'Ottokar et de L'Étoile mystérieuse (la « nouveauté ») sont en revanche de toutes nouvelles compositions qui revisitent les récits.

 

L'album Tintin en Amérique avait connu jusque-là deux illustrations de couverture distinctes, toutes deux de format réduit puisque imprimées ou collées sur la couverture et flanquées des éléments typographiques, dont le titre. Celle de l'album d'origine, édité en 1932, représentait Tintin au bivouac, en tenue de cow-boy, occupé à se restaurer en compagnie de Milou sous le regard lourd de menaces d'Indiens en embuscade. Moins burlesque, la couverture suivante, conçue en 1937, montrait les deux héros sur un cheval lancé au galop. Une scène certes dynamique, mais sans véritable contenu narratif ou dramatique.

 

La couverture de la réédition en noir et blanc de 1942 (qui sera à partir de 1947 celle de l'album de la série « classique » en couleurs) est d'une tout autre veine. Elle représente en effet une des scènes les plus dramatiques de l'album : celle où Tintin, désarmé, ligoté au « poteau de torture » des « Pieds-Noirs », se trouve à la merci de leur chef qui brandit son tomahawk. Ce qui saute d'abord aux yeux, vu la taille du guerrier et la position que ce dernier occupe dans l'image, c'est la qualité de la documentation d'Hergé. Les parties de vêtements retouchées à la gouache blanche et les éléments rajoutés à la tenue du chef attestent un souci accru d'authenticité et de réalisme que renforcent les formes de l'arme et des tepees.

 

Plus subtile encore est la qualité de la composition. Dans le tableau de Pieter Brueghel l'Ancien intitulé « Le Repas de noce », un personnage fait passer des tartes de l'avant-plan à l'arrière-plan, transportant le regard du spectateur dans l'espace jusqu'à la mariée placée au fond, contribuant à la mettre en évidence. Ici, le regard du spectateur glisse sur la lame du tomahawk, passe par le bras levé du chef, poursuit sa fuite par l'autre bras tendu et par le doigt que le chef pointe sur le visage auréolé de gouttes d'émotion de Tintin, le tout en un saisissant raccourci qui fait de la « victime » la vraie « vedette » de l'illustration. Médusé aux pieds de son maître, Milou ne fait qu'un avec lui.

 

Hergé se veut efficace. Ses couvertures sont des incitants à la découverte. Nul doute, ici, que le spectateur s'empressera de tourner les pages de l'album, pour savoir comment Tintin s'en sera sorti.

 

Philippe GODDIN

Biographe d'Hergé