Grégoire CARLE Le lierre et l'araignée
Présentation
Un sous-bois traversé par une rivière et sa flore locale, une lumière d'après-midi irisant la surface de rochers entre lesquels frétille une truite... c'est dans ce décor bucolique que s'ouvre Le lierre et l'araignée. Dans ce magistral ouvrage paru aux éditions Dupuis, collection Aire Libre, en janvier 2024, une unité de lieu : l'Alsace natale de Grégoire Carle. C'est ici, le long des berges du Rhin, que l'artiste remonte le fil de l'eau et de ses souvenirs. Puisque ces derniers « jaillissent des profondeurs », comme il l'écrit, il entreprend, en 2020, dans le temps suspendu du Covid, de creuser jusqu'aux sources. A celle du cyprès blanc, qui tait ou efface les souvenirs, Grégoire Carle préfère la source Mnémosyne, « celle qui permet de conserver la mémoire du passé pour que cessent de se reproduire à l'infini les mêmes errements ». Fable écologique, invitation à la résistance contre les oppressions politiques et témoignage d'admiration d'un petit-fils à son grand-père, Le lierre et l'araignée est une histoire de transmission, de filiation, où la mémoire de son enfance se tisse avec celle de l'histoire familiale et celle de l'Histoire alsacienne.
Huberty & Breyne dans son espace Chapon - 21, a le plaisir d'accueillir la première exposition en galerie de Grégoire Carle. À travers une sélection de plus de 40 oeuvres - planches aux compositions rythmées, pleines pages contemplatives et dessins inédits - le trait de l'artiste se déploie avec justesse dans la douceur de l'intime comme dans la violence la plus crue de l'Histoire. Sa palette d'aquarelle, subtile pour restituer les nuances de la nature au fil des saisons, éclate ou s'assombrit pour traiter du chaos et de l'horreur. Aussi émouvants que percutants au fil de la lecture de son livre, les dessins de Grégoire Carle, parce qu'ils nous subjuguent, nous heurtent et nous touchent, tiennent également le mur (certaines planches ont été exposées aux festivals d'Angoulême et Central Vapeur en 2024). L'exposition est à découvrir du 6 juin au 19 juillet.
La France, l'Allemagne, et au milieu coule une rivière. Le Rhin, cours naturel, lieu de vie comme les rivières des Hautes-Alpes qui constituent le petit théâtre du temps étiré de l'enfance de Grégoire Carle au beau milieu des années 90. C'est là que l'artiste déroule le fil de sa canne à pêche et du souvenir des moments suspendus à observer la nature dans les pas de son grand-père. Maîtriser le lancer du fil de soie, guetter la truite, observer les épilobes ou la berce commune dans les massifs de prêles ou de cerfeuils. Grégoire Carle revient sur ce parcours initiatique, ce temps de l'insouciance, parenthèse enchantée, éclaboussée par le soleil d'été et protégée par les silences de son grand-père qu'il vient alors questionner. Ce retour aux sources le propulse sur une toute autre rive, celle où le cours paisible du Rhin est détourné par les Hommes et l'Histoire, abîmé par les oppressions politiques du passé et le système écocide du présent. Une autre nature, plus sombre, émerge alors. Dans son récit, Grégoire Carle se livre à des va-et-vient temporels, fait dialoguer son enfance avec ses questionnements d'adulte et l'adolescence de son grand-père à la fin des années 30. De son aïeul il ne tient que quelques réminiscences ténues, des bribes d'informations étouffées par la pudeur et le trauma d'une génération sacrifiée qui préférait se taire, pour oublier.
C'est donc dans une véritable enquête que Grégoire Carle se lance dès 2020. Archives privées, familiales et départementales, il épluche tous les documents pour retracer le plus fidèlement l'histoire de sa région et de son grand-père, lorsqu'en 1939 le bruit des bottes de l'Allemagne nazie résonne dans les rue de Strasbourg. Placardées sur les murs, des affches enjoignent les habitants à quitter leur territoire. C'est le temps de l'exil alors que le Führer défile dans la capitale alsacienne, jusqu'à prendre possession de la cathédrale sur laquelle se pose l'aigle et la croix gammée. En septembre 40, de retour de l'exil, les habitants reviennent dans une Alsace où l'araignée a tissé sa toile, la germanisation de la Gestapo s'impose dans la torture et la violence. Face à l'oppression, un groupuscule de jeunes réfractaires à la nazification se retrouve à l'abri de chênes protecteurs sur les rives du Rhin. Le groupe de « la Feuille de Lierre », dont le grand-père de Grégoire Carle fut l'un des instigateurs, s'unit derrière la devise « toujours vert, toujours fidèle ». Dans l'obscurité de la nature, ils se regroupent, visitent des forts abandonnés dans lesquels ils découvrent des grenades en état de marche. C'est dans les eaux du Rhin qui étouffent le bruit des explosions qu'ils s'entrainent à lancer leurs munitions et que se développe leur esprit de résistance. Missions de renseignement, de sabotage, malgré leur jeune âge, leur détermination à résister à la soumission est sans limite. Mais face à eux, la toile de l'araignée se déploie en ville et la Gestapo découvre les planques des jeunes patriotes qui subiront le calvaire des camps de redressement dans lesquels ils sont réduits à l'état d'esclave ou meurent sous les coups.
Grégoire Carle sur les chemins de son histoire familiale, rencontre ces héros de l'ombre. L'intime se mêle alors à la rigueur historique, la mémoire individuelle côtoie la collective et l'auteur tisse le tout dans un scénario où les temps se rencontrent, se regardent et s'affrontent. Dans ce récit qui alterne le point de vue naïf de l'enfant et celui d'un homme dont la jeunesse fut un calvaire, le trait de pinceau de Grégoire Carle fait de délicats pleins et déliés se durcit, se rigidifie ou se brise en lignes sèches et acérées pour dépeindre la violence. Sous les coups de l'oppresseur, les corps et visages émaciés des jeunes résistants rappellent la cruauté des portraits d'un Egon Schiele ou d'un Otto Dix. Les pleines pages contemplatives aux couleurs surexposées par un soleil d'été se mouchettent de gris, se teintent du brun de l'uniforme ennemi. La composition des planches explose, les cases se dilatent sous le poids de la menace. Grégoire Carle dépeint avec brio le calme et la beauté près de ce cours d'eau frontalier comme les plus violents remous de l'Histoire qui s'y sont déroulés. Le livre s'achève sur l'image forte du grand-père et l'enfant marchant côte à côte dans les reflets dorés d'une lumière crue sur des feuilles de lierre. Tapie sous celles-ci demeure l'ombre de l'araignée. Alors se souvenir, résister, deviennent des savoirs à perpétuer de génération en génération. La mémoire, un fil d'Ariane a ne pas lâcher pour ne pas retrouver la toile dangereuse de l'araignée.
DÉDICACE
Jeudi 05 juin 2025
à partir de 17h
VERNISSAGE
Jeudi 05 juin 2025
à partir de 18h
EXPOSITION
Du vendredi 06 juin
au samedi 19 juillet 2025
PARIS | Chapon - 21
21 rue Chapon, 75003 Paris
Mercredi > Vendredi 13h30 - 19h
Samedi 12h - 19h